mercredi 22 juillet 2015

Ils étaient cent

Ils étaient cent.  Rien de plus.  Rien de moins.  Bientôt devant lui.  Ils attendaient.  Depuis longtemps.  Depuis plusieurs heures.  Ils trépignaient.  Ils se bousculaient.  Ils faisaient le bruit d'une foule dont l'inconscient avait déjà donné une réponse.  Le bruit d'une foule qui sait mais qui fait semblant. Une foule qui s'apprête à hurler sa colère.  Une foule prête à briser toutes les règles de la bienséance parce que ces règles là sont faites pour ça.  Une foule prête à en découdre, peut-être bien avec elle-même.

Lui était seul.  Entouré mais seul.

Il avait vomi.  Il vomissait encore, seul, dans les toilettes de ce bâtiment qui bientôt n'aurait plus d'âme sinon celle des souvenirs.  Cela puait la pisse et la merde séchées.  L'entretien de ce lieu là n'était plus une priorité.  Il y avait encore des rouleaux de papier mais qui ne servaient plus à personne.  On n'était pas venu ici.  C'était trop sale. On aurait presque dit que cela sentait trop la mort.  Il vomissait encore une bile qui ressemblait à des cas de conscience.

On lui avait dit que ce serait "compliqué".

C'est l'adjectif exact qu'avait employé l'homme qui supervisait sa mission.  Etait-ce de l'ironie ou du cynisme ? Sans doute un mélange des deux. En tout état de cause, c'était un mensonge.  D'abord parce que cela n'était pas compliqué au sens technique de l'expression.  Ensuite, parce que cela n'était pas du tout compliqué humainement.  C'était impossible et invivable. C'était catyclismique, honteux, scandaleux, ordurier ou tout autre mot qui ressemblait à ces foutus toilettes. Mais pas compliqué !

En fait, c'était pornographique. De la baise clinique mal filmée.

Il était assis sur la cuvette et s'essuyait la bouche.  Ses mains tremblent.  Ses muscles se raidissent.  Son ventre se resserre.  Ses lèvres sèchent.  Il transpire.  Il sent les gouttes de sueur dégouliner le long des poils de ses aisselles.  Il mouille sa chemise comme une jeune fille, prête à en découdre pour la première fois, mouille sa culotte.   Les bactéries accumulées le font sentir.  Son odeur se mélange à celle des lieux et cela lui donne des hauts-le-coeur.  Il voudrait encore vomir - ultime excuse pour ne pas y aller - mais rien ne vient.

Il érupte tout juste.  Il attrape sa veste et la remet.  Cela cachera les oréoles.

Les sentiments qui l'animent pourraient être nombreux.  Il ne peut finalement en ressentir ni en ressortir aucun.  Il n'est pas vide non plus.  Les seules pensées qui lui viennent sont intraductibles.  De mots, des morceaux de phrases.  Des monticules d'inepties qui ne devraient pas être là.  C'en est presque incongru.  Il aurait pu en rire s'il n'avait pas envie d'autre chose.  Mais de quoi ?  De qui ? Pourquoi ? Tout sens s'est perdu dans cette cuvette nauséabonde.

Il va falloir y aller.  Il le sait.  Il le sent.

Bouche essuyée pour la dernière fois.  Ouverture de porte.   Passage au lavabo pour se rincer le visage, se mouiller les cheveux et s'hydrater les muceuses bucales.   Un regard dans le miroir : toujours le même en apparence.  Il est entre pâle et blême.  Il aurait fallu qu'il est meilleure mine.  Ils vont tout de suite comprendre.  A moins que certains ne prennent tout ça pour de l'indifférence, du dédain. Il aime être dédaigneux vis-à-vis des gens, des autres en général.  Cest sa force, son arme.

Il y va.  Maintenant.  C'est le moment.

Ses pas résonnent sur le carrelage.  Il y en avait partout de cette faïence blanche.  C'était sencé rassurer le visiteur.  Cela fait hôpital.  Cela fait plus propre. En fait cela fait ce que c'est! C'est misérable.  Il y a les chaussures mises les unes à côtés des autres.  Des couleurs vives. Des couleurs qui auraient pu réveiller les lieux.  Des sacs juste en dessous.  Bleus. Opaques.  Des vêtements.  Des petites choses qui faisaient leurs quotidiens.   Intérieurement, il espère que tout n'a pas été mélangé et que chacun retrouvera son bien.

Il ne transpire plus.  Il n'a plus envie de vomir.  Il est substitut du procureur.

Il  monte sur cette estrade improvisée.  Il dit tout.  D'un coup.  Froidement.  Plus dédaigneux que jamais comme pour éviter d'entendre les cris, pleurs et hurlements qui suivent. Le plan qu'il avait mentalement construit lui revient alors qu'il l'avait oublié : autocar, colision, enfants, morts, tous... D'autres choses ont été dites mais plus personne n'écoute ou ne veut entendre.  Sauf peut-être tous ces petits yeux qui le regardent depuis le fond de la salle.Il ne s'attendait pas à ce qu'ils soient là.  Il l'avait bien précisé aux uniformes. Ils en avaient convenu comme tout le monde, d'ailleurs. 

Lui non plus s'est mis à ne plus entendre.  Il ne servait plus de dire quoi que ce soit d'autre. 

Il est retourné dans ses toilettes.  Il a pleuré.  Il n'avait pas encore versé une larme et c'est ce qui lui avait manqué.  Il s'en rendait compte maintenant.  Jamais il n'aurait dû vomir.  Plutôt pleurer.  Les verbes du premier groupe sont toujours plus libérateurs. Un homme en uniforme lui a porté un verre d'eau.  Il l'a refusé et a demandé qui était ces enfants placés au fond de la salle. Seuls les parents.  Pas les frères, soeurs, cousins...

On l'interrompt : il n'y avait aucun enfant dans la salle ! 

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